JE : Démocratie, autoritarisme, ultralibéralisme. La reconfiguration du politique au Brésil, une question internationale

Mercredi 3 juin 2020

Salle M019 - CESSMA - Bâtiment Olympe de Gouges - rue Albert Einstein / 8 place Paul Ricoeur, 75013 Paris

Journée d’étude du CESSMA, axe « De la question sociale à la question environnementale. Mutations du travail, genre et financiarisation », aire Amérique latine.

Organisation : Isabelle Hillenkamp, Rodrigo Martins et Timothée Narring

Durant les 20 dernières années, le scénario politique brésilien a connu des changements profonds et non dénués de contradictions. Ils aboutissent aujourd’hui à une nouvelle configuration du politique, où institutions démocratiques, pratiques autoritaristes, idéologie et politique ultralibérales se côtoient, exacerbant et interrogeant les tendances émergentes dans de nombreux autres pays.

Depuis la fin du XXe siècle, les forces sociales de différents spectres politiques se sont succédées à la tête du pouvoir exécutif d’États brésiliens importants et de la présidence de la République elle-même. A ce dernier niveau, le pays est entré dans les années 2000 sous une coalisation de centre-droite, avec le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso (1994-2002), et, de 2003 à 2016, il a compté sur une forte coalition de centre-gauche lors des gouvernements de Luís Inácio Lula da Silva (2003-2010) puis de Dilma Rousseff (2011-2016). Depuis 1930, avec la fin de ce que l’on a appelé la « Vieille République », ces trois gouvernements ont constitué la période de plus grande stabilité et continuité institutionnelle démocratique du pays.

Après le coup d’Etat parlementaire de 2016, l’élection présidentielle de 2018 a donné la victoire à la candidature de l’extrême-droite ultralibérale représentée par Jair Bolsonaro. Malgré la réalisation du scrutin, le pays reste marqué par l’instabilité institutionnelle, avec des interrogations sur l’étendue des pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif, sur leurs modes de fonctionnement et sur la place des forces militaires, ainsi que par des dénonciations de la censure institutionnelle de la presse, de la production culturelle, des mouvements sociaux et du quotidien académique des universités et des centres de recherche. Cette instabilité constitue un signe fort de la nature et de la profondeur des changements en cours, fondés sur l’autoritarisme et l’élargissement du néolibéralisme, d’une part, et sur des contre-mouvements de certains partis politiques et de certaines organisations de la société civile, d’autre part. Précisément, sur le plan de la société civile, les cas d’intolérance politique, religieuse, de genre et sexuelle sont devenues courantes et ils se transforment souvent en actes de violence.

Ce large contexte d’instabilité se révèle donc d’autant plus significatif qu’il prend place après une longue période de démocratisation des institutions et de la vie civile dans le pays. Depuis l’approbation de la Constitution Fédérale en 1988 (également connue comme « Constitution citoyenne »), la société brésilienne avait été témoin du renforcement de la participation
sociale, à travers la création de conseils consultatifs et délibératifs à différents niveaux de gouvernement, comptant sur la présence réglementée de la société civile organisée. Dans le même temps, on avait observé la reconnaissance croissante des droits des minorités, parmi lesquels ceux des communautés, des peuples indigènes, des caboclos et des quilombos, ainsi que des populations LGBTI.

Les années 2000 ont été marquées par le début de l’inclusion sociale et financière de groupes historiquement marginalisés. Les données du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) montrent que, entre 2000 et 2014, plus de 36 millions de personnes sont sorties de la pauvreté chronique et multidimensionnelle au Brésil. En 2005, environ 7% de la population n’avait pas d’accès adéquat à la santé, l’éducation, l’habitat et les biens et services de base ; en 2014, ce chiffre était tombé à 14 %. Toujours sur le plan de l’inclusion, l’accès à l’enseignement fondamental et supérieur s’est élargi. Dans ce dernier cas, les politiques d’action positive, créées au début des années 2000, ont constitué un jalon dans la lutte contre le racisme qui constitue une composante structurelle de la formation sociale brésilienne.

Par ailleurs, depuis les gouvernements de Fernando Henrique Cardoso, le pays a connu l’institution de Ministères dédiés spécifiquement à la question agraire au niveau national. Les politiques d’établissements ruraux ont pris de l’ampleur et, dans les gouvernements Lula da Silva, ils ont joué un rôle important face à la pauvreté rurale. Parallèlement à ce mouvement, et non sans tensions ni limites, un éventail de politiques environnementales devait prendre en compte les problèmes historiques liés à l’expansion de la frontière agricole et à l’utilisation prédatrice de la vaste biodiversité. La Politique Nationale des Ressources en Eau, la Politique Nationale des Déchets Solides, le Système National des Unités de Conservation et la reprise du Code Forestier datent de ces gouvernements.

En même temps, durant toute cette période, l’idéal de prospérité individuelle fondé sur l’entrepreneuriat et alimenté par les médias et les nouvelles théologies évangéliques s’est développé dans les différentes classes sociales, notamment les plus populaires. A partir de 2013, les effets de la crise financière globale ont atteint le Brésil, causant une augmentation du chômage et une rétractation du budget des politiques sociales. Ce retournement de la conjoncture a ramené les élites conservatrices sur le devant de la scène politique, où elles ont interprété la situation sociale et économique comme le signe de l’incapacité de la Présidente – une femme – à gouverner. Cette même année – 2013 – a vu l’apparition de protestations de rue dénonçant la vie chère, puis animées par de nouveaux mouvements de droite, prônant le libéralisme économique et accusant la présidente et la classe politique de corruption. Cet évènement, qui a instauré une nouvelle grammaire politique dans un pays où « la rue » était jusque-là l’espace de déploiement des mouvements sociaux de gauche uniquement, n’est compréhensible que par la capillarité des églises évangéliques, qui ont appelé leurs fidèles à manifester, ralliant ainsi les classes populaires à l’élite conservatrice.

L’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro a radicalisé ces tendances et a mis les institutions démocratiques au service de leur réalisation. Ainsi, depuis janvier 2019, son gouvernement se consacre discursivement et politiquement à annuler une grande partie des changements post-Constitution de 1988, en utilisant pour cela les instruments hérités de cette période.

Durant sa première année au pouvoir, il a dirigé ses efforts vers le contrôle de la portée des instruments de gestion environnementale, en questionnant les données sur les incendies et en défendant l’expansion de la frontière agricole sur la forêt amazonienne. Sur le plan économique et social, il a finalisé la flexibilisation du code du travail et la réforme des retraites entreprises par le gouvernement Michel Temer (2016-2018), promu un modèle d’éducation libérale sans école, ou du moins d’école supposée « sans parti », et réduit significativement les investissements dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Cette transformation s’est appuyée sur les réseaux religieux conservateurs, voyant dans les écoles, les universités publiques et les mouvements sociaux un risque de perversion intellectuelle des valeurs familiales traditionnelles. Toujours dans cette courte période, l’approfondissement de la logique de militarisation s’est accompagnée d’une aggravation des indicateurs nationaux de violence policière (principalement contre des jeunes hommes noirs à bas revenus), ainsi que de la violence domestique (essentiellement contre les femmes) et des agressions homophones, transphobes et contre les populations de rue des centres urbains.

Le Brésil actuel illustre ainsi les liens de proximité troublante, mais pourtant intrinsèques – telle est notre hypothèse – entre autoritarisme et ultralibéralisme, et la manière en apparence paradoxale dont ils s’appuient sur les institutions et les valeurs démocratiques pour se déployer. L’objectif de cette journée d’étude est de présenter des analyses, qui pourront être contradictoires, sur les multiples aspects – sociologiques, religieux, économiques et financiers, écologiques… – de cette reconfiguration du politique. Cette question pourra notamment – mais pas exclusivement – être abordée en lien avec les relations de travail, les rapports de genre et raciaux, le fait religieux, les politiques sociales, les conflits environnementaux, les mouvements sociaux, etc. Les contributions s’appuyant sur des données empiriques pouvant se situer à différents niveaux sont fortement encouragées.

Toutes les sciences sociales sont donc conviées à cette journée d’étude, qui vise à réunir des spécialistes du Brésil, mais qui pourra aussi accueillir des chercheurs travaillant sur ces thématiques sur plusieurs terrains (Brésil et hors Brésil) et qui pourront proposer une lecture croisée.

Les propositions de communication (résumé d’une page) sont attendues par email pour le 15 avril 2020. Les réponses seront communiquées pour le 10 mai 2020.

Contacts : Isabelle.Hillenkamp@ird.fr ; constantemartins@gmail.com ; timothee.narring@gmail.com

Adresse : Salle M019 - CESSMA - Bâtiment Olympe de Gouges - rue Albert Einstein / 8 place Paul Ricoeur, 75013 Paris

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