JE :Environnement : nature, genre, morale
Perspectives d’épistémologie politique et économique

16 et 17 novembre 2020
Organisation : Isabelle Hillenkamp, Pascale Phelinas et Monique Selim

L’environnement est devenu l’enjeu primordial du monde présent, structurant les relations internationales comme les conflits locaux et nationaux. La question environnementale s’est ainsi substituée au XXIe siècle à la question sociale du XXe siècle, drainant les axes majeurs des rapports économiques et politiques, et reformulant selon de nouveaux termes les dynamiques de classe, de sexuation, d’ethnicisation et de racialisation. La place hégémonique qu’occupe désormais l’environnement – au premier plan duquel, le climat – est fondée sur des constats objectifs, incontestables, et se décline en une multitude de lignes de pensée, divergentes voire contradictoires. Celles-ci alimentent les idéologies actuelles autant que les pratiques individuelles et collectives tentant de s’ajuster à leur manière aux impératifs environnementaux. L’avenir du monde, telle est l’interrogation centrale que posent les perspectives environnementales et climatiques.

Ces journées d’étude entendent éclaircir ce foisonnement riche et inédit de réponses économiques et sociales à la question environnementale et déconstruire les segments significatifs de ce qui se donne à voir comme une urgence absolue. Quelques thématiques sont ici pointées à titre d’exemple, sans pour autant en exclure d’autres qui pourront émerger des propositions de contributions à ces journées de réflexion et de débat. Toutes les disciplines de sciences humaines et sociales sont conviées.

- Les économies mondiales ont progressivement pris la mesure du coût environnemental du modèle global de croissance économique fondé sur l’exploitation des ressources naturelles (énergies fossiles, métaux rares, forêts, terres agricoles, réserves halieutiques etc). Comment bâtir une croissance qui tienne compte de la valeur des variables environnementales, souvent impossibles à monétiser est une question centrale des débats sur la croissance zéro, verte, durable, inclusive, voire la décroissance. L’existence de défaillances profondes de l’équilibre marchand, qui fait peser sur la société un coût non pris en compte par l’émetteur des prédations/dégradations/pollutions, justifie l’intervention de l’Etat. Dès lors, quels instruments efficaces de régulation environnementale mettre en place :
réglementaires (normes) ? Incitatifs (taxes, subventions, permis d’émission) ? Ces défis alimentent également le débat sur les conditions d’une gestion durable des communs et sur les modalités – y compris marchandes – de l’économie « du partage ». Ils posent aussi la question de la RSE. Quelle(s)s échelle(s) d’action privilégier ? Quels régimes politiques (autoritaires, démocratiques) favoriser, dans l’arbitrage entre préservation de la nature et restriction des droits individuels ? Peut-on transformer le monde sans toucher à ses structures politico-économiques qui composent le capitalisme financiarisé et algorithmique ?

-Le climat s’institue à lui seul comme le socle de l’environnement : la question climatique met en scène de nombreux acteurs, parmi lesquels s’inscrivent les chercheurs qui en définissent les modes d’étude et d’analyse. Les terrains d’observation, indispensables, montrent une pléthore de perceptions du climat selon la position occupée de producteur agricole, de population dite autochtone ou de citoyen inquiet de son bien-être, de sa santé et de son avenir ainsi que de celui de ses enfants. La question environnementale s’inscrit dans le cadre du marché et de la consommation, de la financiarisation globale de l’économie.

-L’alimentation, à la fois conséquence du changement climatique (l’insécurité alimentaire) et cause de ce dernier (la dégradation des sols et des eaux, la déforestation, la perte de biodiversité), est au coeur des dénonciations politico-morales du système global (la Big Food et ses effets sur la santé humaine, les petits producteurs agricoles et l’environnement), autant que de nouvelles affirmations identitaires, individuelles et collectives (végétarianisme et véganisme, slow food, locavorisme, etc.). Analyser ces tendances et leurs contradictions sous divers angles – économiques, sociologiques, politiques etc. – doit contribuer à une meilleure compréhension de la place occupée par la question alimentaire en relation avec celles du climat et de l’environnement.

-Les femmes sont actuellement placées au coeur des questions environnementales, en raison de leurs capacités supposées naturelles de reproduction. Appréhendée hier comme aujourd’hui comme plus proche de la nature, leur figure se révèle écartelée entre plusieurs options antagoniques : renaturalisation de leur condition, alors même que leur émancipation historique s’est appuyée sur leur détachement de la nature ; reclaim, soit affirmation et retournement positif de ce lien pérenne à la nature et à la fonction nourricière. La diversité des écoféminismes incite à sortir de cette dichotomie à travers des études empiriques, indispensables pour affiner la compréhension des luttes environnementales et de leurs multiples composantes.

-La morale imprègne la nouvelle question environnementale, prescrivant aux acteurs individuels et collectifs des normes de comportement selon les termes de ce qui est bien et bon, ou mal et destructeur pour la nature, humaine et non humaine. La
responsabilisation des sujets pèse de tout son poids, engrangeant culpabilité, refoulement et conformisme aux injonctions. La construction de micro-communautés exemplaires se répand dans tous les milieux sociaux – y compris scientifiques – et l’engagement nourrit les processus de moralisation en jeu. Comprendre dans chaque cas les raisons singulières et intrinsèques des mobilisations s’impose pour les rendre plus intelligibles.

-L’humanisme est aujourd’hui fortement remis en cause par la question environnementale dans la mesure où il édictait la spécificité de l’Homme doté d’une conscience, fondement de sa liberté. Dès lors que l’Homme est réintégré dans la nature, qu’un continuum entre animé et inanimé est posé, que toutes les espèces ont le même statut, la fin de l’humanisme est envisagée et se reflète autant dans de nouvelles utopies naturalistes, que dans les collapsologies et les messianismes de l’effondrement, qui méritent des analyses approfondies.

  • Le soin (care) se généralise sur le mode d’un nouveau devoir, impliquant une redéfinition et surtout une extension de la solidarité face aux risques partagés par la nature et l’homme, espèce naturelle : se soigner, soigner ses proches, oblige à repenser le travail social et la redistribution dans un univers sans hiérarchie entre existants. Ecofascismes et écoterrorismes côtoient les versions pacifiques du soin.

Les propositions de contribution (résumé d’une page) sont attendues par email pour le 30 septembre 2020.

Contacts : Isabelle.Hillenkamp@ird.fr ; Pascale.Phelinas@ird.fr ; Monique.Selim@ird.fr

Adresse : CESSMA - Bâtiment Olympe de Gouges - rue Albert Einstein / 8 place Paul Ricoeur, 75013 Paris

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