Coordination : Isabelle Guérin et Isabelle Hillenkamp
Chercheuses et chercheurs titulaires : Pascale Absi, Laurent Bazin, Bérénice Bon, Bérénice Girard, Isabelle Guérin, Gilles Guiheux, Valeria Hernandez, Isabelle Hillenkamp, David Jabin, Nicolas Lainez, Jean-Yves Moisseron, Pepita Ould-Ahmed.
Chercheuses et chercheurs associé.e.s : Eveline Baumann, Patience Biligha, Larissa Bombardi, Clément Crucifix, Damiano De Facci, Sami El Amari, Wenjing Guo, Antoine Heemeryck, Bernard Hours, Manon Laurent, Chantal Ndami, Jacob Nerenberg, Pascale Phelinas, Antoine Rieu, Magalie Saussey, Monique Selim, Assen Slim.
Post-doctorant : Timothée Narring.
Doctorant.e.s : Matthieu Bufkens, Emma Calvet, Paola Jímenez de León, Aymeric Mariette, Cécile Mouchel, Fernando Moyano, Yizhen Wang.
Depuis les années 1980, la question sociale a été entièrement remodelée par la logique néolibérale qui sous-tend les politiques de développement et de lutte contre la pauvreté. En faisant de l’insertion dans le marché globalisé et financiarisé leur pierre angulaire, celles-ci ont tendanciellement opéré un déplacement : l’amélioration de l’accès aux services financiers était supposée pallier le problème de l’accès à l’emploi ; la gestion des risques sur le marché prenait le pas sur l’institution de solidarités collectives. La question sociale est aujourd’hui de plus en plus transformée par la question environnementale, qui touche les modes d’accès aux ressources, la constitution des revenus, l’exposition aux risques naturels. Là encore, le marché est présenté comme réponse possible aux usages supposés déficients et non optimaux des ressources naturelles. La marchandisation s’accompagne d’un processus de financiarisation – c’est-à-dire la transformation en actifs financiers – d’un pan toujours plus vaste de ressources (la terre, mais aussi les écosystèmes, le risque climatique, etc.), de biens communs et publics comme la santé ou l’éducation et de personnes (les « pauvres » sont désormais une cible désormais privilégiée des investissements « à impact »).
La « transition écologique » s’impose aujourd’hui, de manière conflictuelle, comme l’enjeu décisif du présent, dans une conjoncture où la globalisation elle-même apparaît en crise. Elle remet en question les modes de production, de consommation, d’échange, de protection et de circulation. Sa mise en œuvre pose centralement la question des inégalités, de l’échelle la plus globale des rapports Nord/Sud à l’échelle la plus microsociale.
Les programmes de recherche développés au sein de l’axe s’intéressent à la manière dont les sociétés réagissent aux processus de marchandisation. Ils s’intéressent tout particulièrement aux stratégies ambivalentes des acteurs pour s’émanciper par le marché ou s’émanciper vis-à-vis du marché.
Comment se combinent marchés du travail, agricoles, de la finance et du crédit, du foncier, des ressources « naturelles » et des services écosystémiques, des droits à polluer, des connaissances, de la science et de la technologie, des données, ou encore des services sexuels ? Comment ces marchés s’articulent-ils par ailleurs avec différentes formes de protection, qu’elles soient construites ou héritées, institutionnalisées ou interpersonnelles ?
La question du genre, des formes de parenté et de sexualité constitue un fil directeur de l’axe. Les marchés, quels qu’ils soient, sont à la fois façonnés et façonnent en retour les rapports de genre (tout en étant constamment articulés avec d’autres formes d’appartenances sociales et de domination). Dans quelles mesures la construction de nouveaux marchés ou leur reconfiguration s’adossent ou au contraire contestent ou renouvellent les pratiques et les normes de parenté (modalités d’alliances, pratiques cérémonielle, contours des organisations domestiques et des solidarités familiales) et de sexualité (emprise sur les corps, définition des sexualités jugées respectables ou au contraire déviantes ?). Inversement, comment la contestation du marché et les tentatives d’émancipation et leurs définitions multiples se nourrissent des pratiques et des normes de parenté et de sexualité ou les reconfigurent ? Ce sont les modalités de cet entremêlement entre économie, parenté et sexualité et leurs ancrages dans différents contextes sociaux, politiques et historiques qui nous intéressent et représentent une manière novatrice de problématiser le genre.
Un autre axe transversal concerne la réflexivité constante sur l’enquête de terrain et son éthique, les modalités de combinaison de différentes disciplines et modes d’administration de la preuve (de l’ethnographie à l’inférence statistique), les opportunités et contraintes de l’enquête à distance, les conditions de possibilités de coconstruction d’agendas et de programmes de recherche avec les acteurs non académiques et leur déploiement dans des contextes postcoloniaux et/ou autoritaires.
Travail, modèles productifs et imaginaires
La diversité des formes et des significations du travail est une préoccupation ancienne de l’équipe, sans cesse réactualisée, et systématiquement pensée en lien avec la diversité des modèles productifs et des imaginaires qui les sous-tendent.
Comprendre le renouvellement constant du travail nécessite à la fois :
• de poursuivre l’analyse des formes de précarisation, de dévaluation du travail et de migration issues de politiques néolibérales et de l’épuisement des ressources naturelles ;
• d’explorer l’émergence ou le renforcement de formes multiples du travail gratuit et invisibilisé, incontournables pour compenser l’irrégularité et l’assèchement des revenus du travail et de la sphère productive ; il s’agit par exemple du travail de la dette et pour la dette, du travail sexuel, du travail du lien social, du travail des droits et du politique visant à accéder aux droits redistributifs face à des Etats récalcitrants et dysfonctionnels ;
• de prêter attention aux subjectivités du travail dans ses formes multiples et aux aspirations de dignité et d’émancipation qu’il véhicule.
Monnaie, dette et finance
Les modalités de la monnaie, de la dette et de la finance sont constituées par les inégalités, à différentes échelles, et constitutives de ces inégalités. Dans un contexte d’endettement croissant ou persistant des familles, des entreprises comme des Etats, l’accès inégal à la dette et au crédit (prix, sanctions en cas de défaut) et l’instabilité monétaire creusent les inégalités et contraignent les politiques publiques et le débat démocratique. Comprendre le rôle de la monnaie, de la dette et de la finance dans la reconfiguration des inégalités nécessite à la fois :
• de poursuivre l’analyse des alternatives monétaires et financières (monnaies sociales, troc, tontines, circuits communautaires, etc.) ;
• d’étudier le rôle de la digitalisation de la monnaie et de la finance (transferts digitaux, crédits digitaux, épargne digitale) dans des processus de captation, de redistribution et de transformation (ou pas) de la gestion des risques (pour les prêteurs comme pour les emprunteurs) ;
• d’analyser la reconfiguration des formes de mise au travail pour remboursement de dette (depuis la persistance de servitudes semi-féodales à des formes nouvelles de mise au travail imposées par le surendettement auprès de compagnies financières privées)
• de prêter attentions aux subjectivités de la monnaie, de la dette et de la finance et ce qu’elles révèlent des aspirations à la dignité et à l’émancipation ;
Des enjeux environnementaux conflictuels
Plus de trois décennies après l’imposition de la « transition à l’économie de marché » à l’échelle globale sur la base du consensus de Washington, la « transition écologique » se présente aujourd’hui comme un impératif politique et moral, suscitant de profonds dissensus sur la scène internationale et alimentant une multitude de conflits locaux. L’équipe aborde ces enjeux environnementaux conflictuels sous différents angles :
• étude de la multiplicité des acteurs et actrices impliqués dans la transition écologique, leurs modes de revendication, appropriation, contestation et les modes de production, de consommation, d’échange, de protection et de circulation qui en découlent ;
• analyse de l’émergence de nouveaux marchés (services écosystémiques, carbone, droits à polluer, etc.) et la manière dont ils reconfigurent ou renforcent des inégalités préexistantes ;
• exploration de la fabrique socio-économique et socio-politique de la « nature », comme assemblages résultant de la rencontre entre les processus contemporains de néolibéralisation (marchandisation, privatisation, financiarisation, re-régulation) et d’organisations solidaires affichant leur volonté de développer d’autres rapports économiques et avec la nature ;
• expérimentation des formes de coproduction des savoirs sur l’environnement et étudier leurs défis épistémologiques, politiques et sociaux.
Sciences, technologies, algorithmes
Innovations techniques et technologiques sont au cœur des processus de marchandisation mais aussi d’émancipation. Ceci inclut par exemple le recours aux méthodes randomisées dans l’évaluation et la mise en place de politiques publiques et de développement, l’usage des big data dans l’élaboration des programmes sociaux, la production d’algorithmes pour la sélection d’emprunteurs et l’octroi de crédit et d’assurance, l’implantation des technologies blockchain dans la commercialisation des produits agricoles, le besoin massif en données des sciences du climat. L’équipe n’étudie pas ces innovations en tant que telles mais se focalise sur leur rôle dans les questionnements précédents. Plus précisément, l’équipe étudie :
• la mise en œuvre concrète de ces innovations, les écarts entre promesses et réalisations, la diversité des acteurs et actrices impliqués et les bricolages, compromis, conflits qui en résultent ;
• la circulation et l’entremêlement entre techniques et nombres experts et « ordinaires » ;
• les enjeux épistémologiques, politiques et éthiques de l’usage de ces différentes techniques.